Brin d'humour: Article de Emmanuelle Pratviel dans Sport et Vie


Mesdames, votre mari est sportif d'endurance, triathlète par exemple, et vous ne le comprenez pas toujours. Ses réactions vous étonnent, ses raisonnements vous semblent dépourvus de tout bon sens et ses caprices déclenchent chez vous des crises d'hystérie.

C'est NORMAL !

Le triathlète n'est pas un homme comme les autres, d'abord parce qu'il a choisi ce sport, ensuite parce que ce sport a aggravé son cas.

Messieurs, votre petite amie, votre épouse triathlète a un comportement étrange, vous ne la comprenez plus.

C'est NORMAL ! Les hommes n'ont jamais rien compris aux femmes.

Mademoiselle, monsieur, vous venez de rencontrer un ou une triathlète amateur et vous songez déjà au "plus si affinités" ? Autant vous mettre au parfum tout de suite, avant de vous engager pour la vie. En effet, chacun d'entre nous a dans l'esprit l'image rêvée du sportif triathlète : fendant l'écume ou la bise, il nage, pédale et cavale, fringant, infatigable. Il s'agit du triathlète vu à la télé, professionnel, bronzé, les pectoraux surdimensionnés. Celui-là ne nous intéresse pas car il est rare de le croiser. Voyons plutôt le triathlète amateur, le vulgus triathleticus, celui que vous rencontrez dans la rue ou dans le canapé de votre salon.

Mademoiselle, monsieur, vous possédez ou posséderez bientôt un triathlète à la maison : les lignes qui suivent vous concernent. Cherchons donc à mieux comprendre nos amis les sportifs, pour la gloire de la science et la paix des ménages. Et puisque nous sommes condamné(e)s à les subir toute l'année, étudions la variété de leurs comportements au fil des mois et des saisons.

Au sortir de la période de récupération
(voir les mois "octobre, novembre, décembre"), le triathlète vit une période psychologiquement difficile, et ce à deux points de vue.

Il lui faut tout d'abord se remotiver. A une époque peu propice aux longues et champêtres randonnées cyclistes, sortir le vélo du garage demande un effort incalculable. Le bonnet est de mise au sortir de la piscine, et les orteils rendus frileux par les soirées au coin du feu n'apprécient guère les pistes gelées, fussent-elles en tartan. Mais foin de tout cela. Ce que le triathlète appelle "difficulté à s'y remettre" s'appelle paresse ou flemme chez le commun des mortels. Votre cossard de triathlète n'est pas plus malade que le fainéant ordinaire. Et il va malgré tout "s'y remettre".

La seconde difficulté du mois de janvier est plus intéressante du point de vue de la psychologie triathlétique. Le sportif, qui depuis octobre est au repos, a récupéré ses oligo-éléments, acides aminés, sels minéraux et autres microscopiques agents de la forme que l'on trouve dans les sauces au beurre, les frites, les éclairs au chocolat et les boissons ferrugineuses. Il a aussi récupéré quelques plis, il a la peau épaisse, quand ce n'est pas le bidon proéminent. Noël et le jour de l'an n'ont pas arrangé les choses. Dédouané par la "récup" et la perspective de perdre au prochain entraînement ses grammes surnuméraires, notre athlète a bâfré sans complexes.

Au premier entraînement de course à pied c'est le drame. Notre sportif se traîne, il sombre dans le désespoir. Le spleen le saisit, il déprime en feuilletant Triathlète magazine et ses hordes de sportifs affûtés, à la joue creuse et à la cuisse légère.

Commence alors pour toute la famille une période difficile. La chasse aux lipides est ouverte, le triathlète est au régime. Les pâtes à rien refont leur apparition midi et soir, les yaourts écrémés et le fromage blanc à 0% encombrent le frigo. Subitement, la fonction "dépense énergétique" du cardio-fréquencemètre reprend toute sa valeur. Comme le triathlète amateur est un humain, c'est dur, très dur. Déçu par ses performances, il ne peut même plus manger pour se consoler.

La famille apitoyée se cache pour continuer de se goinfrer en paix : il faut bien finir les chocolats de Noël.

Février

Quelques grammes de muscles ont remplacé quelques kilos de graisse, notre triathlète a meilleur moral. Il voit avec joie les séances s'allonger, les performances s'améliorer. Il a ressorti son home-trainer et il empuantit joyeusement la maison les jours de blizzard. C'est bon pour la cadence de pédalage. C'est beau l'entraînement scientifique. Notre grassouillet frileux est redevenu un triathlète dans l'âme. Il note scrupuleusement sur son cahier d'entraînement les kilomètres parcourus, les temps, les rythmes. Il recopie les temps des triathlons courus, il compare les temps, il compte les compètes depuis l'année dernière et depuis ses débuts dans le triathlon. Il faut le laisser faire, il est un peu maniaque. Dans la foulée, il prépare les pages correspondant aux mois à venir, il note les compétitions auxquelles il prévoit de participer, les objectifs club... Il rêve et soudain il panique. Trois mois ! Il ne reste que trois mois avant le retour des beaux jours et des hostilités. Et le voilà qui remplit son cahier avec hargne, qui exhume les plaquettes et les pull boys, qui allonge les sorties vélo au mépris des déjeuners dominicaux, qui court de nuit, oublieux des chiens et des exhibitionnistes.

A la maison, c'est pâtes complètes, riz complet, semoule complète et malheur à qui jette l'eau de cuisson à l'égout.

La forme revenue, notre triathlète amateur recommence à lécher sérieusement les vitrines. Les cadres pendus chez les marchands de cycles l'attirent comme des aimants. Et ne parlons pas des roues. Le danger pour le budget familial n'est cependant pas encore patent. Notre athlète n'est pas encore au mieux de sa forme et, n'étant qu'un amateur, il sait qu'une bouée de moins fait gagner plus de secondes qu'un cadre ou des roues dernier cri. Il se contentera donc, dans la plupart des cas, d'une petite révision de sa monture. N'empêche, il rêve.

Mars

L'échéance approche. Le mois prochain, les premières compétitions commencent. Des petites, pour se faire les jambes. L'entraînement devient frénétique, tout devient prétexte à préparation. Certains vont au travail en courant, faisant croire à leur épouse qu'ils font des économies de carburant, d'autres promènent leurs enfants dans des charrettes attelées à leur vélo. On en voit même qui exigent de faire les courses au supermarché. Ils font ainsi d'une pierre deux coups : ils courent en poussant le caddie de plus en plus chargé (effort gradué) et ils choisissent la nourriture (y compris les coûteuses barres énergétiques planquées dès le retour au foyer). Les gosses ont perdu tout espoir de voir émerger des cabas leurs précieuses barres Kinder.

Au sein des clubs, les discussions vont bon train : les meilleurs "produits de l'effort" à croquer ou à téter, les nouveaux équipements spécial triathlon, les dernières promos chez Décathlon. Les tuyaux s'échangent après l'entraînement sur le parking de la piscine. Les triathlètes, eux aussi, ont leurs réunions Tuperware. L'émulation commence à poindre : "Machin était en forme aujourd'hui", "Truc est resté à l'abri à vélo hier, il couve quelque chose", "Bidule a salement progressé en natation cet hiver" entend-on à la maison. Il s'agit de savoir qui sera un "fer de lance" du club cette saison. Mais rien n'est dit, il reste les blessures.

Ah, les blessures, vaste sujet. Pour le commun des mortels, une blessure est un trou dans la chair, avec du sang, des croûtes, voire de l'os en miettes. Chez les triathlètes, les blessures sont généralement invisibles (sauf quand ils râpent la chaussée avec leur fesses en se laissant choir de leur vélo). Les blessures des triathlètes s'appellent déchirures musculaires, élongations, claquages, ou pire, tendinites. Rien de bien grave, en somme. On les appelle blessures quand même par référence aux blessures de l'âme. Eh oui, les triathlètes ont une âme, fragile de surcroît.

Mars est la meilleure période pour tous ces redoutables accidents. Rescapé des agapes de Noël, fringant au retour des entraînements, ambitieux, sûr de lui, notre athlète a enfin (presque) domestiqué ce corps récalcitrant qui lui ruinait le moral il y a deux mois. Il feuillette son cahier d'entraînement, voit arriver les épreuves avec plaisir et songe de plus en plus à s'offrir la nouvelle monture de ses rêves. Tout est possible!

Et là, trahison! Ca commence par une petite douleur qui inquiète sans plus, mais qui s'incruste. Le kiné dit qu'il faut lever le pied, on s'autorise donc une petite semaine de repos en se disant que ça va passer et qu'une petite récup n'est pas mauvaise de toute façon. Mais ça ne passe pas. De médecin en kiné, de kiné en médecin du sport, de médecin du sport en radiologue, de radiologue en podologue, le trou de la sécu se creuse inexorablement et le moral de notre sportif avec. Dans le cahier d'entraînement, les épreuves les plus proches sont rayées et un rageur "blessé" s'inscrit à la place. Il faut bien justifier ses manques.

A la maison c'est l'enfer. Le régime a repris de plus belle: il ne faut pas gâcher les dernières chances de compètes, ruiner les objectifs plus lointains en attrapant une bedaine. Privé de sa dose, notre sportif tourne en rond, fait des bonds dans son lit, se lève la nuit, écrit des âneries, fait des mots croisés, cherche la scène de ménage... Il voit ses efforts réduits à néant, ses objectifs soudain inaccessibles. On le plaindrait presque s'il n'était pas si casse-pieds.

Les copains du club progressent, il régresse, la "saison" est presque fichue. Si le mal ne cède pas, la dépression le guette. Il faut planquer tous les numéros de Triathlète, le laisser manger comme il veut (puisqu'il est obligatoirement casse-pieds, autant qu'il reste joli à regarder), le sortir chez des amis non sportifs à qui l'on aura précédemment fait la leçon (ne pas demander où en est l'entraînement), lui offrir un tour du potier ou un manuel de jardinage, en profiter pour mettre l'appartement en travaux, ne pas lui proposer de monter au grenier tout le matériel qui ne sert plus à rien en ce moment et qui encombre le couloir. Bref, il faut l'occuper et l'empêcher à tout prix de courir ou de monter sur son vélo pour voir si "ça fait toujours mal".

Si le mal cède, on peut aborder le mois d'avril avec le sourire.

Avril

Notre sportif n'est pas encore au top mais n'a pas besoin de l'être. L'eau est encore trop froide pour les triathlons, il s'agit de se mettre en jambes lors des premiers duathlons.

La première compète est cruciale pour le moral. Réussie, elle laisse présager une bonne saison. Les triathlètes du club s'observent, reluquent les nouveaux vélos, goûtent la dernière potion à la mode et entrent leurs temps dans leurs montres spéciales triathlon (enfin, pour ceux qui ne sont pas trop émus pour manipuler correctement les boutons.)

S'il fait beau, ces dames (ou ces messieurs) viennent encourager et admirer leur sportif perso et ses camarades. C'est l'occasion de voir passer en trombe et à vélo celui qu'on voit passer en trombe, mais sans vélo, à la maison. S'il fait très beau, les enfants sont de la partie. Dressés depuis leur plus jeune âge à hurler : "Allez, vas-y papa, tu vas y arriver, bravo papa!" et autres niaiseries, ils font la fierté du sportif qui n'a donc pas besoin de gagner.

Chacun se positionne au sein du club, veut savoir qui est meilleur que lui et dans quelle discipline, qui attaque fort au début et qui craque sur la fin. Au lieu de papoter paisiblement, ces dames sont contraintes de tenir chrono. "Tu es 75ème" ne suffit pas. Il faut dire: "Tu es 75ème à 5 minutes derrière Machin qui est 64ème, qui a doublé Truc au premier tour et qui suit Bidule, 39ème à 15 minutes". Tout ça en deux dixièmes de seconde si le chéri n'est pas trop fatigué. Dur.

Après l'épreuve, le réconfort. Pendant que les courageux sportifs devisent en se gorgeant de coca et de fruits secs, les conjoints chantent des cantiques pour que les résultats tombent vite et qu'on-puisse-rentrer-la-marmaille-il-y-a-école-demain.

Retour au foyer et au sacro-saint cahier d'entraînement. Notre athlète fait cracher sa montre et note scrupuleusement ses temps, pour pouvoir comparer avec ceux de l'année dernière. Son journal intime renseigné, il feuillette les pages suivantes, rêve aux prochaines compètes, avale un plat de pâtes et va au lit. Bien sûr, il n'a pas oublié de remplir la panière de linge salle ni de jeter dans l'armoire le magnifique T-shirt gagné à l'épreuve qui vient grossir la pile de ceux des triathlons passés.

Le bénéfice de la première épreuve est certain. Notre athlète a en général mieux réussi qu'il ne le pensait. Le voilà donc motivé pour progresser encore et il s'entraîne de plus belle.

Mai

Les premiers triathlons commencent, il est temps de se jeter au lac. Les combis refont leur apparition et pendent au-dessus des baignoires. Voici revenu le temps des contorsions et de la virile entraide qui permet de remonter les fermetures éclair. Voici revenu le temps des choses sérieuses (en attendant celui des cerises).

Le vrai spectacle commence, celui des parcs à vélo. Nos athlètes attendent fiévreusement l'ouverture de l'arène. En attendant, ils patientent au pied des véhicules, versent d'épouvantables mixtures dans leurs bidons, malaxent et collent sur leurs cadres des barres à l'arôme figue ou amande au mépris des plus élémentaires règles de l'hygiène, se font parfois goûter leurs potions magiques (on tient peut-être là l'explication des subites gastro qui frappent les coureurs en pleine compétition?). Ils examinent leurs vélos, manipulent les dérailleurs, se donnent des conseils de réglage, essayent les dits réglages, mais surtout, ils MATENT. Oh, pas les fesses de la rare triathlète essayant son vélo. Non, ils matent les vélos des autres. Ils commentent: "Cannondale a fait un malheur avec ce modèle - Ils ont vendu surtout des rouges, avec l'équipement Record carbone et visserie en titane. - Regarde tous ces Look d'enfer - Je me suis tâté pour en prendre un, ils étaient abordables - Oui mais l'équipement est bas de gamme ! - Et le poids? Tu l'as soupesé celui là ? - Et blablabla... - Regardez, un VTC! Il va quand même pas courir avec ça ?!" Il y a deux sortes de types qui ont un moche vélo : ceux du club et les autres. Ceux du club ont un mérite fou de pédaler avec ça, les autres n'espèrent tout de même pas finir la course, les plaisantins.

Enfin, le parc est ouvert. Des hordes de sportifs se précipitent, poussant le vélo, traînant des sacs énormes. Il reste bien une heure avant le départ mais ce n'est pas de trop.

Pour les spectateurs, c'est le parc d'attraction. Il y a ceux qui n'ont pas encore épinglé leur dossard, ceux qui ont oublié leurs épingles à nourrice (la bleusaille), ceux qui pour la vingtième fois se demandent comment ils ont fait la dernière fois pour accrocher leur pancarte sur leur cadre, ceux qui oublient leurs chaussures de vélo dans la voiture (les étourdis). Il y a ceux qui se concentrent, assis la tête dans les mains et ceux qui s'installent comme à l'hôtel. Ceux-là en sont encore à étaler leur petite serviette au pied de leur chaise, à ranger leurs chaussures de vélo dans le sens de la marche, à côté de la serviette et leurs chaussures de course à pied de l'autre côté du vélo. Il y a les méfiants qui groupent tout sous la chaise et les débonnaires qui s'étalent sur l'emplacement des autres. Mais surtout il y a les bavards. Loin de l'oreille goguenarde du conjoint, on raconte la dernière épreuve, celle où l'on a cru voir son voisin d'emplacement, histoire d'engager la conversation. On raconte le lac, froid encore pour la saison, le parcours vélo, sélectif, la course à pied en deux boucles-pour-le-public-c'est-nettement-mieux. On embraye sur les courses de l'an dernier, sur celles qu'on fera dans les mois à venir, où l'on se retrouvera peut-être. On joue au modeste: n'oublions pas que le voisin de parc à vélo est aussi un adversaire qu'il faut inquiéter sans trop, et que les potes de club écoutent. Les pires puants faux modestes portent le T-shirt finisher du triathlon de Nice, ou mieux, celui d'Embrun. Comme s'ils en avaient des douzaines dans leurs placards, des T-shirt finisher, et qu'ils avaient pris celui là par hasard ! Ceux là sont aussi, souvent, de vrais prétentieux à fuir.

H moins 20 minutes. Cette fois le public est à la fête. Derrière les barrières, il est vraiment au zoo. En effervescence, nos athlètes tentent de s'introduire dans leurs combis. Malgré les zip, les scratches et les régimes, c'est dur. Ils se tartinent à la vaseline puis partent pieds nus, se dandinant comme des canards sur les cailloux, le haut de la combi pendouillant sur les genoux : direction le plan d'eau où il faudra encore attendre dix bonnes minutes avant le départ, le temps de faire reculer les ambitieux et ceux qui aimeraient bien échapper aux gnons en fuyant le gros du peloton.

Heure H. Le troupeau est parti. Après le départ, plus question de retrouver son triathlète dans le banc de thons qui fonce vers l'arrivée. Seul le meilleur, (le premier) et le plus mauvais (qui brasse péniblement à la queue) ont la chance d'être reconnus et soutenus par le public.

A l'arrivée, la gymnastique recommence. Maladroits, nos sportifs tentent à la fois de retrouver la pesanteur du plancher des vaches et de s'extirper de leur collante combinaison avant l'entrée du parc. Cela donne lieu à de comiques contorsions que le public, occupé à compter les candidats à la sortie de l'eau ou à les photographier, ne relève pas la plupart du temps.

Le public posté aux abords du parc a lui aussi l'occasion de rigoler un coup. Certains nageurs arrivent la combi sur le bras. Ils sautent dans leurs chaussures, avalent en courant une cochonnerie énergétique et finiront de sécher sur le vélo. D'autres, désincarcérés ou pas de leur combinaison, s'asseyent tranquillement sur leur petite chaise, s'essuient les pieds, enfilent des chaussettes, ajustent leurs chaussures, se lèvent, replient leur serviette, la rangent dans le sac, en sortent une autre pour la transition vélo-course à pied, ferment le sac, plient leur combi, la stockent dans un sac en plastique, mastiquent calmement une ration de survie, chaussent leurs lunettes et partent enfin. C'est à se demander pourquoi ils ont couru en sortant de l'eau.

Le cinéma se répète à la transition suivante. Le public encourage. Ces dames, pas dégoûtées applaudissent leurs sportifs titubant, suant, bavant l'eau des ravitaillement.

L'arrivée, enfin. Mais personne ne songe à rentrer. On attend les temps (même si on les a déjà dans la montre), les camarades encore en course, la remise des prix.

Au retour, les conversations deviennent intéressantes. Chacun est désormais positionné dans le club, les équipes longue distance se forment. Chacun compare ses temps intermédiaires avec ceux des autres, raconte combien il a doublé de concurrents à vélo (et sur le nombre, combien avaient des roues profilées ou à bâtons). Chacun fait ses comptes : "Machin m'a doublé à vélo mais je l'ai repassé à pied, Truc n'est plus qu'à deux minutes derrière moi en natation, j'ai vu Bidule marcher dans les côtes, je le croyais plus en forme". Quand l'ambiance va, tout va.

L'équipe soutient aussi le pauvre malchanceux contraint à l'abandon, sur panne mécanique ou pire, sur malaise. Voilà notre athlète rangeant tristement son matériel, trouvant encore le courage d'attendre et de soutenir les autres, ruminant son échec et ses conséquences pour l'équipe, se disant qu'il a fait sa dernière course, rongeant une barre énergétique pour ne pas se ronger les ongles devant tout le monde.

Que dire ? Que faire pour l'aider ? Rien. S'il a trop mauvaise mine, le traîner vers le camion de la Croix rouge. Et c'est tout. L'expérience a montré que le mordu reprend toujours le chemin de la compète, il ne déprimera donc que jusqu'au prochain triathlon.

Juin , Juillet, Août, Septembre

La saison bat son plein. Le triathlète devient l'homme invisible : la semaine à l'entraînement et le week-end en course. Même les vacances y passent. Le vélo est de la partie, le matériel encombre le coffre : plutôt abandonner le chien qu'oublier un sac de sport. Le site des vacances est lui aussi choisi avec circonspection : pas trop loin si possible d'une ou deux petites épreuves pour se maintenir en forme et garder la motivation. C'est que les longues distances approchent.

Les triathlètes appellent indifféremment les moyens et les longs triathlons des "longues distances". On se demande bien pourquoi. Si l'on considère que les courts sont appelés "distance olympique" pour faire moins petit joueur, on a une idée de la réponse.

En tout cas, c'est le long, le vrai, qui fait le surhomme, l'Ironman (ou le débile, ou le maso) aux yeux des foules. Ce sont les coureurs de longue distance qui font l'élite.

Les longues distances sont rares et donnent lieu à de grands voyages. Le trajet fait dans la même voiture, le séjour passé dans le même hôtel permettent à nos athlètes de renforcer leur saine et franche camaraderie. Rien ne vaut la nouille partagée au petit matin, ni la pasta partie de la veille au soir. En plus d'y ingérer son stock d'hydrates de carbone, on s'y observe: "Regarde celui là comme il est affûté ! Les joues ! T'as vu ses joues comme elles sont creuses ?" Si d'aventure le gus se lève pour aller réclamer du rabe de pâtes, tous les regards tombent sur ses mollets musclés, rasés de près et si possible bronzés. "Il a dû en bouffer des côtes. Tu crois qu'il est dopé?"

L'affûtage et le doping sont les deux mamelles des discussions pré longue distance. Post aussi d'ailleurs, quand on a maté les mollets du vainqueur.

Les longues distances sont aussi l'occasion de conforter l'esprit d'équipe. N'ayant pratiquement aucune chance de gagner, la plupart des triathlètes misent sur le classement par équipe pour monter sur le podium. Une fois choisis les membres du club qui formeront l'équipe, la compétition entre eux disparaît officiellement (officieusement, chacun veut faire "un temps", et parfois un temps qui marquera les annales du club). L'entraide joue donc à plein. On se refile des tuyaux, des boyaux, on se remonte le moral, on s'encourage, on rassure les anxieux. On va même jusqu'à se prêter des roues, c'est dire.

Dans la course, c'est encore l'équipe qui soutient l'effort individuel. Ses membres ont perdu le droit d'abandonner. Ne pas finir un triathlon, c'est dur. Mais couler le groupe à cause d'une minable défaillance personnelle, c'est insurmontable. Plus encore que la famille ou l'ambition, l'équipe est l'aiguillon qui maintient le triathlète en selle.

Il ne faut cependant pas minimiser le rôle de la famille. Le triathlète qui part en compétition disparaît pour un bon bout de temps du logis. Tôt levé (pâtes matinales oblige), tôt parti (les dossards se retirent une éternité à l'avance), tard rentré, quand ce n'est pas rentré du tout (distance oblige), l'absent abandonne le foyer plus longtemps qu'un V.R.P., mais ne ramène qu'un T-shirt. Si au soir du retour, au lieu de rentrer content du week-end, du parcours ou de l'ambiance, il tire la tronche en râlant sur l'organisation, la météo, les bouchons ou pire, sur les crevaisons, le drafting ou l'éventuel abandon, il se fait MASSACRER par bobonne qui ne s'est pas tapé les gnards tout le week-end pour entendre des jérémiades. L'épouse qui, au contraire, console son chéri déçu a de bonnes intentions, mais elle ne l'incite guère au progrès et elle se fait manger le week-end sur le dos.

Entre l'esprit d'équipe et la pression familiale, le coureur de longue distance n'a plus le choix : il doit finir. Quitte à se gaver de barres énergétiques et à prendre des kilos au lieu d'en perdre. Quitte à pousser le vélo dans les côtes ou à marcher même dans les descentes. Quitte à arriver dernier. La ténacité des Ironman a des ressorts que l'amour du sport ignore.

Octobre, Novembre, Décembre

La période de récupération est enfin arrivée. Les rêves de grosses bouffes ou, pire, de grignotage intense, vont pouvoir se concrétiser sans remords. Face au kilo de Léonidas, ce n'est pas la goinfrerie qui parle, c'est le corps qui appelle. Notre athlète, qu'on a cru accro à l'exercice physique intense, devient brutalement sédentaire. Il va à la piscine pour bavarder, stationne longuement assis sur le bord du bassin en faisant des petits battements avec les pieds, sort le VTT pour se donner bonne conscience et ne court plus parce qu'il faut laisser les tendons se reposer (en réalité parce qu'il fait trop froid). Il se remplume et devient débonnaire, voire bedonnant. L'approche de Noël l'attire irrésistiblement vers les magasins de cycles. C'est le moment de lui parler de la taxe d'habitation, de la vignette auto et du père Noël des enfants. Avec un peu de chance, on s'en tirera avec un nouveau jeu de pédalier.

Il faut profiter de ces mois calmes où notre athlète n'en est plus un, reste à la maison sans se dire qu'il devrait être ailleurs et ne salit plus qu'un t-shirt par jour. Un quart de l'année, ce n'est pas si mal. Pour un peu, on le lui offrirait, ce fameux Cannondale rouge de moins de sept kilos.

2 commentaires:

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